Qui veut renverser la statue de Freud?
au sujet du livre noir de la psychanalyse


Christophe André


par Christophe André

Le Monde du 8 octobre 2005



Paradoxalement, le conflit actuel est sans doute une chance - la dernière? - offerte à la psychanalyse pour l'aider à sortir des impasses et des dérives dans lesquelles elle s'enfonce.

D'échapper à "la raideur qui toujours guette la grandeur" , selon les mots du philosophe Alain. Et de soigner enfin son complexe de supériorité.


"Quel démon vous irrite et vous porte à médire ? Un livre vous déplaît : qui vous force à le lire ?" Cette épigramme de Boileau pourrait s'appliquer, du moins dans sa première partie, à l'événement qui secoue le milieu psy en cet automne 2005 : la sortie d'un Livre noir de la psychanalyse [Les Arènes, 832 p., 29,80 €] qui s'attaque à une vache sacrée de la vie intellectuelle française. Les auteurs y cognent fort. Et sans doute visent-ils juste sur certains points, comme le montre la dureté des réponses de nombreux psychanalystes qui ne font pas non plus dans la dentelle. Nous devrions toujours nous réjouir lorsqu'un débat d'idées mobilise ainsi les intelligences. Hélas, les invectives et les coups bas semblent ici prendre le pas sur les arguments !

 


Le livre formule trois familles de critiques à l'encontre de la psychanalyse. Sur le plan historique d'abord : il rappelle par exemple que Freud a sciemment falsifié nombre de cas qu'il voulait présenter comme des guérisons, ou que la difficulté d'accès des historiens aux archives Freud pourrait bien cacher quelques secrets de famille embarrassants pour la discipline. Il est vrai que ces faits sont connus des initiés depuis longtemps, mais vouloir les porter à la connaissance du grand public n'est pas un crime (sauf de lèse-majesté).

Sur le plan culturel ensuite : le livre s'en prend au "psychanalysme" , à ce glissement, largement toléré par les analystes eux-mêmes, vers une forme d'idolâtrie à l'égard des grandes figures fondatrices, dont on embellit les destinées et dont on vénère les écrits. Il est légitime de respecter Freud, Lacan ou Dolto, il est possible de les admirer. Mais quant à les adorer, comme cela continue de se faire dans de nombreuses universités et cénacles de formation...

Sur le plan thérapeutique, enfin : Le Livre noir dénonce les prétentions de la psychanalyse à être la seule psychothérapie à "aller au fond des choses" , toutes les guérisons obtenues d'autre manière ne pouvant être que partielles et superficielles. L'idée est belle, mais souvent fausse, comme le savent tous les praticiens : il n'y a pas aujourd'hui de "sur-thérapie" ni analyse, ni thérapies cognitives et comportementales (TCC) pouvant prétendre surclasser les autres, reléguées ainsi au rang de "sous-thérapies".

L'ensemble de ces trois débats devrait pouvoir être traité sans passion et sans rage. C'est loin d'être le cas. Insultes aux comportementalistes, présentés par leurs détracteurs comme des "dresseurs" (lorsqu'ils apprennent à leurs patients à surmonter leurs peurs) et des "montreurs d'ours" (lorsque ces patients guéris parlent dans les médias). Offenses aux psychanalystes, caricaturés en sophistes névrosés, adeptes de la "fausse profondeur" dont parlait Paul Valéry, et se cachant derrière leur jargon pour masquer la banalité de leur pensée. Ces caricatures expriment les inquiétudes mutuelles, parfois légitimes, des deux camps en présence, mais elles ferment le débat et le transforment en combat. Remarquons d'ailleurs que la violence des auteurs du Livre noir semble surclassée par celle de certains analystes. Est-ce que ces derniers ne seraient pas victimes d'un mal insidieux : l'identification à la doctrine ? Toute contestation de la psychanalyse représente alors pour eux bien plus que la critique d'une pratique de soins : ils la perçoivent comme une remise en question de leur vision du monde et de l'être humain.

Mais qu'est-ce qui donne aux analystes cette certitude, si palpable dans leurs propos, d'être dépositaires de la seule bonne vision de l'homme ? Pourquoi l'homme d'introspection de la psychanalyse serait a priori un meilleur modèle que l'homme d'interaction du comportementalisme ?

 


Paradoxalement, le conflit actuel est sans doute une chance - la dernière ? - offerte à la psychanalyse pour l'aider à sortir des impasses et des dérives dans lesquelles elle s'enfonce. D'échapper à "la raideur qui toujours guette la grandeur" , selon les mots du philosophe Alain. Et de soigner enfin son complexe de supériorité. La psychothérapie de demain ne saurait se passer de la psychanalyse, mais elle ne supporte déjà plus son emprise étouffante. Aucune école ne peut prétendre faire "penser au pas", comme l'on marche au pas, l'ensemble des thérapeutes et, surtout, des patients. Car ces derniers ne demandent qu'une chose : comprendre ce qui se passe dans le monde des psys et bénéficier d'une offre de soins où ne régneraient plus l'arbitraire et l'invective.

Christophe André est médecin psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne de Paris.

Article paru dans l'édition datée du 09.10.05
Christophe André

est né à Montpellier en 1956 d'un père marin et d'une mère institutrice. Il lit très tôt l'oeuvre de Freud et décide de faire médecine pour devenir psychiatre. Il pratique pendant 15 ans psychiatrie et rugby à Toulouse. Après son mariage, il monte à Paris. Il remplace alors la pratique du rugby par celle de l'écriture et publie 19 livres dont plusieurs en collaboration avec les Dr F. Lelord et P. Légeron. Il exerce à l'hôpital Sainte-Anne à Paris, au sein d'une Unité de Thérapie Comportementale et Cognitive, spécialisée dans le traitement des troubles anxieux et dépressifs où il organise des thérapies de groupe. Il continue à écrire des livres et considère que ses seuls chefs d'oeuvre sont ses trois filles.

source : http://www.alaphobie.com/bio_Christophe_Andre.php

Vivre heureux…
(Présentation de l'éditeur) Qu'est-ce que le bonheur ? Peut-on apprendre à être heureux ? Quels sont les rapports entre bonheur et malheur ? Certaines personnes sont-elles plus aptes au bonheur que d'autres ? Et vous, où en êtes-vous avec le bonheur ? Parce que nous cherchons tous à être heureux et qu'il n'existe pas un mais des bonheurs, voici un livre concret qui offre les clés pour se bâtir peu à peu une vie plus heureuse ! " Christophe André nous apprend à résister à la tentation du malheur et à ne pas nous laisser grignoter par la morosité. Bref, à cultiver un optimisme heureux. " Psychologies.
Biographie de l'auteur

Christophe André est médecin psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne, à Paris. Il a publié Psychologie de la peur. II est également l'auteur, avec François Lelord, de Comment gérer les personnalités difficiles, de L'Estime de soi, et de La Force des émotions, ainsi que de La Peur des autres, avec Patrick Légeron.
Psychologie de la peur
à paraître le 9 novembre 2005 : Psychologie de la peur : Craintes, angoisses et phobies de Christophe André
 

et chez Odile Jacob, avec François Lelord : La force des émotions…