Jacques-Alain Miller répond aux anti-Freud
(Le point 22/09/05 - N°1723 - Page 80)
au sujet du livre noir de la psychanalyse


Jacques Alain Miller
LE POINT 22.09.05

Un livre comme ça, j'en voudrais un tous les ans!


Freud est un menteur et un mystificateur, clament les partisans des thérapies comportementales et cognitives. Ils le disent dans le Livre noir de la psychanalyse (éditions Les Arènes). Jacques-Alain Miller, l'un des chefs de file de la psychanalyse, répond à ces "braillards haïssant Freud".

Définition du métier de psychanalyste: "Profession qui, après tout, doit sa propre existence et sa propagation à une pléthore de personnes crédules, prêtes à se payer le luxe d'abdiquer leur souveraineté mentale à quelqu'un d'autre et tentant trop souvent désespérément de se décharger de la responsabilité morale du naufrage de leur vie." Définition de la psychanalyse : "Une théorie omnisciente qui ne repose finalement que sur la dépendance à la vie de personnes souffrantes." Voici pour le fond... et la forme. Le livre noir de la psychanalyse, paru aux éditions Les Arènes, ne fait pas dans la litote. Son propos est martial : démasquer la psychanalyse, qui, prétendant soigner, ne servirait qu'à entretenir les patients dans leur plainte narcissique.

Ce livre collectif scande la bataille acharnée opposant en France depuis deux ans les psychanalystes, disciples de Freud, aux partisans des thérapies comportementales et cognitives. Ces encore méconnues TCC sont nées dans les années 60 aux Etats-Unis. Ce sont des thérapies mises en oeuvre par près d'un millier de praticiens (psychiatres ou psychothérapeutes) qui, se basant sur les théories de l'apprentissage et du conditionnement, conduisent le patient à se débarrasser d'un symptôme en quelques séances. Exemple : un timide sera, par une série d'exercices, invité à prendre la parole devant un auditoire, puis à se faire remarquer en public, enfin il chantera à tue-tête "Joyeux anniversaire" dans une rame de métro bondée. Une thérapie "efficace", disent ses praticiens.

Les adeptes des TCC, dont Mikkel Borch-Jacobsen et Didier Pleux, deux auteurs du Livre noir de la psychanalyse, reprochent à la psychanalyse d'être "une idéologie dominante qui véhicule des vérités contestables". Leurre thérapeutique, "elle prétend être une thérapie et guérir, alors elle doit accepter d'être évaluée", ajoute Christophe André, psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne à Paris, car "on ne peut en 2005 dispenser des soins sans les évaluer". Evaluation, ainsi se nomme la hache de guerre qui oppose si frontalement partisans des TCC et psychanalystes. Les TCC sont évaluées depuis vingt ans par des études anglo-saxonnes et donnent à cette aune des résultats satisfaisants. Les psychanalystes refusent d'entendre parler d'évaluation. Marotte comptable, disent-ils, arguant qu'il est impossible d'évaluer une cure, fondée sur la parole, dont les effets thérapeutiques peuvent être variés, invisibles, différés, en tout cas inquantifiables. Evaluer la psychanalyse, c'est ramener, selon ces petits-fils de Freud, la complexité de l'existence humaine à un schéma mathématique pour contenter les managers de la Sécurité sociale.

Freud a vieilli? Si Le livre noir de la psychanalyse marque une virulente étape, il fut précédé de deux épisodes. En juin 2003, c'est l'amendement Accoyer, du nom du député UMP qui vise à réglementer l'usage du titre de psychothérapeute. Levée de boucliers des psychanalystes. La loi sera votée, mais, faute de décrets d'application, n'est toujours pas appliquée.
Deuxième étape, la publication en juin 2004 d'un rapport d'expertise de l'Inserm qui, sur la base d'études internationales, conclut que les TCC sont plus efficaces que les "psychothérapies relationnelles", dont la psychanalyse. Et, coup de théâtre, alors que ce rapport émane d'un organisme public à la demande d'un service gouvernemental, le ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, le retire in extremis. Les psychanalystes jubilent. Les partisans des TCC rappellent que ce rapport avait pour origine la demande de plusieurs associations représentant quelque 4 500 patients ne sachant trop par qui, comment et pourquoi se faire soigner quand ça va mal.

Depuis, les armes se fourbissent. Pourquoi, réclament les partisans des TCC, ne pas admettre que Freud a vieilli, qu'il s'est trompé, que les neuro-sciences lui donnent tort et que leurs thérapies soignent mieux que de sempiternelles séances de divan où l'on s'épanche dans un silence complice? Archifaux, répliquent les psys. Une personne phobique de l'ascenseur, à laquelle les TCC auront enseigné comment prendre l'ascenseur, aura évacué son symptôme, mais l'origine inconsciente de cette phobie n'aura pas été entendue.
Et le symptôme resurgira, prédisent-ils. « Les psychanalystes sont aux abois. Nos outils sont simplistes face à des souffrances complexes, mais ils obtiennent des résultats, ajoute Christophe André ; et il m'arrive d'envoyer des patients qui vont mal vers des psys. » La réciproque est rare. Ce qui signifie, docteur?

Interview: Jacques-Alain Miller


Le Point: L'amendement Accoyer puis le rapport de l'Inserm et enfin ce Livre noir de la psychanalyse, comment expliquez-vous ces assauts de plus en plus virulents?

Jacques-Alain Miller: Un livre comme ça, j'en voudrais un tous les ans! Ça fait le plus grand bien aux psychanalystes d'être régulièrement étrillés, passés au crin ou à la paille de fer. Le président Mao disait: "Etre attaqué par l'ennemi est une bonne et non une mauvaise chose." Constatons que la psychanalyse existe très fort, pour être ainsi assiégée depuis deux ans, aux niveaux politique, scientifique, et maintenant médiatique. Il faut supposer qu'elle recèle quelque chose de très précieux, dont les psychanalystes sont les gardiens, éventuellement ignorants.

Le Point: Pourquoi les psychanalystes refusent-ils l'évaluation comparative des thérapies?

JAM: Les thérapies comportementales et cognitives, les TCC, sont des produits récents, formatés sur mesure pour aider les gestionnaires de la santé à baisser les coûts. Car l'enjeu de la dispute, c'est le marché du mental. Jusqu'où "marchandiser" et «sociétaliser» le mental sans cesser d'être une société de liberté et un Etat de droit? La psychanalyse est aujourd'hui comme une enclave où ne vaut pas le ratio coût/profit. Elle est d'autant plus nécessaire et d'autant plus attaquée que le ratio de rentabilité gouverne tout le reste. La psychanalyse, c'est comme Astérix!

Le Point: La psychanalyse conduit-elle à la guérison? Est-ce une thérapie?

JAM: La psychanalyse a sans doute des effets thérapeutiques. Pas question d'entrer "pour voir". Il faut un désir décidé, et que l'existence vous soit une souffrance. Seulement, ces effets ne s'obtiennent qu'à condition de mettre en question la notion même de guérison, car de l'humaine condition on ne guérit pas.
Quant aux TCC, ce sont des techniques d'apprentissage et de conditionnement et aucunement des psychothérapies. Elles ne tiennent compte que du comportement observable et quand elles intègrent le fonctionnement psychique, ce n'est qu'au titre du traitement de l'information. L'efficacité du conditionnement a été jadis mise en évidence par un esprit éminent, le soviétique Pavlov, chez le chien. Agir sur l'homme par les mêmes moyens, c'est horrible. Savez-vous que l'armée américaine comprend des équipes spécialisées de comportementalistes, désignées par l'acronyme BSCT, et qui opèrent à Guantanamo comme à Abou Ghraib? Là il y aurait matière pour un vrai « Livre noir » si quelqu'un voulait bien s'y intéresser.

Le Point: Mais dites-nous ce qu'est la psychanalyse?

JAM: Une psychanalyse, cela consiste à parler en roue libre, à ne pas taire les idées qui passent dans la tête, comme nous le faisons maintenant. Au fur et à mesure, dans vos propres paroles, un autre sens prend consistance, vous surprend, puis se délite, emportant le mal. En général, on découvre à quel point on a été conditionné par des éléments d'apparence infime dans des circonstances hasardeuses: des choses de l'enfance, entrevues, certaines paroles qui vous ont été dites, et l'on revient là-dessus jusqu'à ce que la charge maléfique de ces éléments soit détrempée. Chaque cas est différent.

Le Point: Et comment définiriez-vous les thérapies comportementalo-cognitives?

JAM: Voyez-vous, ce sont des dresseurs d'hommes, comme il y a des dresseurs d'ours, de chevaux ou d'otaries. Ayant triomphé dans le dressage animal, ils entreprennent de faire pareil avec les hommes. Seulement, minute, papillon! Chez l'humain, le rapport de cause à effet «stimulus-réponse» est toujours déréglé par ce qu'on appelle comme on peut: inconscient, désir, jouissance.

Ce Livre noir de la psychanalyse est le fruit monstrueux des noces du comportementalisme avec une bande de fameux braillards haïssant Freud, en mouvement depuis vingt ans. Je me souviens d'un qui, jadis, à New York, me poursuivait: "J'ai ici toutes les preuves, disait-il en montrant sa sacoche, que Freud couchait avec sa belle-soeur".




 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le succès du Livre noir de la psychanalyse
Une lectrice du magazine Le Point (22 sept. 2005) répond à Jacques Alain Miller

parce que la parole de gens qui souffrent véritablement est sûrement bien trop douloureuse pour que vous puissiez vous autoriser à l’entendre publiquement

Début de l’article du Point, qui propose un entretien avec J.- A. Miller :

« Freud est un menteur et un mystificateur, clament les partisans des thérapies comportementales et cognitives. Ils le disent dans le Livre noir de la psychanalyse (éditions Les Arènes).

Jacques-Alain Miller, l’un des chefs de file de la psychanalyse, répond à ces « braillards haïssant Freud ».

Voici la réaction d’une lectrice du Point, qui répond à Jacques Alain Miller :

Des mères le poing levé

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’interview que vous avez accordée au journal le Point. Et vos propos fascinants ont fait immédiatement ressurgir de mon Conscient des souvenirs bien vivaces. Voyez-vous, j’ai le très désobligeant honneur d’appartenir à la horde sauvage de ces mères pathogènes, qui mirent au monde, dans l’horreur et la culpabilité que l’on sait, des bébés autistes. Que vous le vouliez ou non, le parcours du combattant qu’on impose à toute « mauvaise » génitrice, adjectif que je revendique la tête haute et le poing levé, reste encore et toujours tracé dans la droite ligne d’une pseudo théorie freudienne. Scandaleux ! En 2005, nous n’avons simplement toujours pas le choix, pour la simple et bonne raison que votre monopole « lobbyisant » ne permet pas, par définition, d’écart de pensée donc se garde bien d’informer qui que ce soit de tout autre mode de « prise en charge » , terme que j’utilise avec des pincettes dans votre cas. Lorsque l’enfant autiste paraît, trouver un véritable psychiatre, qui pour une fois, soignerait un peu autre chose que les riches âmes errantes et somme toute pas si malades, relève de l’épreuve de force !

Des mères le fusil dans le dos

Quand on est en affaire (parlez-moi d’argent monsieur Miller...) avec des familles déjà décimées par l’annonce du handicap gravissime de leur enfant, il serait à présent bienséant que l’orientation thérapeutique change son fusil d’épaule, et je pèse mes mots : bien qu’on n’entre pas, selon vous, en analyse pour voir , c’est quand même le fusil dans le dos que nous sommes poussées, nous les infectes marâtres, dans ces petits salons où l’on cause bien, mais fort peu de nos canailles (quel poète ce Freud, qui trouva là une délicieuse pirouette pour désigner le débile mental). Hors de Freud et Bettelheim, point de salut ! C’est sous la menace du risque d’aggravation de l’état de nos enfants que nous sommes contraintes et forcées de participer à ces petites mises à mort que sont en général les séances sirupeuses de vos partisans. Le fusil dans le dos et pour voir, nous assistons ainsi à la réhabilitation ( !) miraculeuse de nos petits Tordus, grâce à vos pansements appliqués aux blessures de leurs psychés. Extraordinaire à voir, si ce n’était aussi sinistre, d’entendre vos pairs s’adresser à des enfants muets, parfois sourds, parce que biologiquement incapables de parler donc de restituer et n’ayant aucun accès cognitif à la symbolisation ! Qu’en aurait dit votre Père à tous qui ne s’adressait qu’à des êtres doués (même les canailles) de parole ? Apprenez à aboyer JAM, et tentez l’école vétérinaire, vous pourrez enfin rejoindre la troupe des beuglants que nous sommes !

Le Livre noir, en écho aux voix jamais entendues

Pour toutes ces raisons, voyez-vous, ce Livre noir est sain, salutaire et nécessaire parce qu’il fait écho, je n’en doute pas une seconde, à une multitude de voix jamais entendues, parce que la parole de gens qui souffrent véritablement est sûrement bien trop douloureuse pour que vous puissiez vous autoriser à l’entendre publiquement. Parlez-nous de choix, monsieur Miller ! A n’en pas douter, vous êtes un grand démocrate doublé d’un fin pédagogue. Si tant est que vous vous reconnaissiez dans ces termes, pourquoi, puisque vous avez l’espace médiatique pour le faire et les chaires de France et de Navarre à votre portée, pourquoi, disais-je, ne tenez-vous pas votre rôle d’homme public (bien plus avantageux que les femmes du même nom...), conscient de la parole qu’il transmet et du travail citoyen qu’il ne manque pas d’assurer ?

Un devoir éducatif que la France n’assure pas
Pourquoi ne dites-vous pas que la France a perdu l’année dernière, face au Conseil de l’Europe, parce qu’elle n’assure pas son devoir éducatif auprès des enfants autistes ? Pourquoi ne dites-vous pas que la souffrance a le choix de son soulagement ? Pourquoi vous enfermez-vous dans votre gotha mondain et élitiste dont le Livre noir vient de faire trembler l’omnipotence absolue ? Est-il si difficile de faire amende honorable ? Est-il si difficile d’être humble, intelligent, honnête et tout à la fois bien portant ? Faites une TCC, vous y arriverez !
Verbiage et pauvreté scientifique

Je pense qu’il est temps, cher monsieur Miller, que vous et vos camarades de classe fassiez votre deuil de l’autisme et des pathologies extrêmement lourdes avec lesquelles vous dealez encore parce qu’elles n’appartiennent pas à votre champ de compétences et que vous n’y pourrez jamais rien. Elles sont bien trop graves pour qu’on les laisse fricoter avec la légèreté vertigineuse du verbiage lacanien et la pauvreté scientifique de Sigismond. J’ai découvert les stratégies behavioristes, après avoir perdu deux ans de nos vies, celle de mon fils et la mienne, dans vos ghettos sectaires. Pour tout l’or du monde je n’y reviendrai jamais !
Mon fils est à présent bien dressé, élevé (vers le haut) et presque propre sur lui. Je ne le brûle pas à la cigarette ni ne lui envoie des décharges électriques (avec son gros déficit de l’intégration neurosensorielle il adorerait sûrement ça !) et je suis absolument ravie d’avoir rejoint cette bande de braillards, hystériques et malpolis. Fasse que leurs hurlements court-circuitent les soupirs élégants, velléitaires et prétentieux des pantouflards guindés de votre caste.

Agnès Fonbonne Le 23 septembre 2005

 

 

     
 
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