C’est
angoissant de voir des psys dans cet état. Une fois dissipées
les fumées de cette bataille d’artillerie, il faudra encore
soigner freudophobes et lacanomaniaques |
«
Le livre noir de la psychanalyse » Vivre, penser et aller mieux
sans Freud. Sous la direction de Catherine Meyer. (Les Arènes).
831 pages, 29,80 euros.
Ce n’est pas du tout petit plomb, mais du gros calibre façon
Grosse Bertha. Un énorme pavé de huit cents pages, balancé
par quarante auteurs — certains défunts — pour décrire
l’horreur thérapeutique et démontrer que Freud, c’est
tromperie et foutage de cerveau. Contre les Freudennes à l’eau
de rose, ce « livre noir » se veut porteur d’espoir
et d’alternative : les TCC (thérapies cognitivo comportementales)
existent. Il faut les rencontrer. Técécés contre
divan : derrière la querelle de boutique pour une meilleure répartition
des parts de marché, il y a la souffrance du client. Sur au moins
deux sujets — l’autisme et la toxicomanie — ce livre
pourrait viser juste : dans ces deux domaines la psychanalyse installée
depuis 1968, aurait causé, selon les auteurs, d’immenses
dégâts. Car un autiste, un toxico, relèvent de soins
urgents et non de cures interminables. Évidemment, une serigue
propre, des produits de substitution sont plus vitaux qu’un «
parlez moi de votre mère ». Dans ces outrances, le livre
ne dit rien de la coopération sur le terrain des psys et des técécistes.
Le dialogue est difficile. À un déçu du freudisme
qui affirme dans le livre : « L’analyse m’a permis de
comprendre mon problème, maintenant j’aimerais pouvoir m’en
débarrasser », une pro-divan témoigne dans les gazettes
: « Je suis tout autant névrosée qu’avant mais
aujourd’hui je m’en fous. » Que choisir ?
Au « Canard », journal sans
pub ni psychologue, on n’a pas de cellule de crise pour arbitrer
ce genre de conflit. |
À en croire le « livre noir », « la France est
avec l’Argentine le pays le plus freudien du monde ». Faut-il
se réjouir de cette exception culturelle ? Que l’entreprise
Lacan soit une PME qui exporte jusqu’en Patagonie ne doit pas faire
oublier que le marché américain semble aujourd’hui
bien revenu de la psychanalyse. Ce qui devrait contraindre à plus
de modestie Jacques-Alain Miller, gendre de Lacan, quand il répond
par dessus la jambe à cette « bande de fameux braillards
haïssant Freud » et autres comportementalistes « dresseurs
d’animaux ». L’affaire est politique, donc intéressante
: après l’amendement Accoyer et le rapport de l’Inserm
hostile à la psychanalyse mis sous le boisseau en 2004, quelle
sera la prochaine bagarre ?
Comme s’inquiétrait Bécassine Orban l’autre
soir à la télé : « que vont penser de tout
cela les patients en cure ? » C’est vrai, ça ! C’est
angoissant de voir des psys dans cet état. Une fois dissipées
les fumées de cette bataille d’artillerie, il faudra encore
soigner freudophobes et lacanomaniaques.
Frédéric Pagès
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