Jean Cottraux, psychiatre et coauteur du Livre noir de la psychanalyse,
remet en question la validité théorique et thérapeutique
des enseignements de Freud, Lacan et Dolto.
Jean-Pierre Winter, psychanalyste, conteste
ses critères d'évaluation. |
Jean Cottraux. C'est la découverte
de sa médiocre efficacité qui m'a fait rompre avec la psychanalyse.
Des collègues médecins - exempts de troubles majeurs jusqu'à
leur analyse - se sont suicidés ou ont souffert de décompensations
psychotiques, alcooliques. La psychanalyse n'est pas seule responsable,
mais à l'époque on en faisait le seul traitement susceptible
de résoudre les problèmes des individus. Lacan est venu
à Lyon en 1967. C'était un homme d'un grand charme. J'ai
été lacanien pendant six mois. Puis j'ai estimé qu'il
y avait trop de poudre aux yeux dans cette proposition lacanienne, brillante
mais arrogante, au ton légèrement sexiste. En hôpital
psychiatrique, on rencontrait des malades très difficiles. La pratique
était tout autre que ce que nous enseignait la psychanalyse. J'ai
fait une analyse. Au bout d'un an, j'avais fait le tour des problèmes.
Elle a duré quatre ans. Vers la fin, je me suis lancé dans
autre chose.
Jean-Pierre Winter. J'exerce ce métier
depuis trente ans. J'ai été en analyse avec Lacan; je n'ai
pas eu à m'en plaindre. La psychanalyse m'a fait éviter
des embûches, m'a révélé des potentialités.
Parmi mes collègues, je ne vois pas autant de suicidés que
vous: deux, sur la dizaine d'années que j'ai passée sur
le divan de Lacan. Arrivés en mille morceaux, la plupart sont ressortis
heureux de ce qu'ils avaient fait. Mes patients vont bien. Ceux avec qui
je ne m'entends pas, ou qui ne s'entendent pas avec moi, vont voir ailleurs.
Je leur suggère, ou ils en décident eux-mêmes. Qu'un
livre qui se veut une évaluation de la pratique analytique ne nous
parle que des victimes, qu'il ne s'étende que sur le négatif,
ça me révolte! Où est passé l'aspect positif
dont ont témoigné tant de personnalités comme Georges
Perec ou Françoise Giroud?
J.C. Il s'agit d'un groupe à qui
la psychanalyse réussit. Mais, à l'échelle globale,
les statistiques de l'Association psychanalytique internationale et le
rapport Fonagy concluent que rien ne prouve son efficacité.
J.-P.W. Le rapport dit
que rien ne permet de le prouver. Votre livre en cite la conclusion: «En
tant que psychanalystes, nous savons tous que la psychanalyse marche.
Notre propre expérience de l'analyse est probablement suffisante,
dans la plupart des cas, à nous persuader de son efficacité.»
J.C. Pas de preuve, sinon l'intime conviction.
Etre persuadé, ce n'est pas forcément être dans le
vrai.
J.-P.W. Ce qui est dit, c'est qu'il n'y
a pas d'étude qui permette de conclure sans équivoque que
la psychanalyse est efficace, par rapport à un placebo actif ou
à une autre forme de traitement. Vous, vous voudriez imposer vos
méthodes, lesquelles ne sont pas utilisables pour évaluer
ce qui se passe dans le processus analytique.
J.C. Les instituts de Londres, Berlin et
Chicago ont abouti à des conclusions négatives. La Revue
internationale de psychanalyse les a publiées. Seuls 30% du groupe
de départ en tirent bénéfice.
Quels critères d'évaluation?
J.C. Dans Analyse terminée et analyse
interminable, Freud dit: «Une analyse se termine quand l'analyste
et le patient cessent de se rencontrer l'un l'autre pour des séances.»
Il se fiche un peu du monde. Il suggère qu'on ne peut pas analyser
la fin. «Le premier critère est que le patient ne doit plus
souffrir de ses symptômes et doit avoir dominé ses anxiétés
et ses inhibitions.» Sur cela tout psychothérapeute ou médecin
pourrait être d'accord. Voilà ce qu'écrit Freud en
fin de vie. «Deuxième critère: l'analyste doit juger
que suffisamment de pensées refoulées ont été
rendues conscientes.» C'est le jugement de l'analyste, pas celui
du patient. «Un troisième critère: l'analyse aurait
eu une influence si profonde sur le patient qu'il n'y a pas de changements
supplémentaires à attendre.» Et un quatrième
critère, plus ambitieux: «Il serait possible d'atteindre
un niveau de normalité psychique absolu qui resterait stable comme
si on avait réussi à résoudre chacun des refoulements
du patient et à remplir tous les trous de sa mémoire.»
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J.-P.W. Parmi les propos de Freud mentionnés,
ceux de 1917: «En règle générale, notre thérapie
est forcée de se contenter d'amener plus vite, plus sûrement,
avec moins de dépenses, la bonne issue qui, dans les circonstances
favorables, se serait produite spontanément.» Mais vous
en tirez argument pour lui faire dire que «ça ne va pas
très loin». Sauf que ça va très loin! Qu'est-ce
que la guérison au sens analytique? L'adéquation de la
pensée du sujet, de ses affects et de son corps. De quoi souffre
le sujet? De son «hypocrisie civilisatrice», de son «hypocrisie
sociale», de se prendre pour ce qu'il n'est pas, de ne pas se
prendre pour ce qu'il est. Lacan disait que l'analyse se termine «quand
le patient va bien», quand il ne lutte plus contre lui-même
pour un bonheur fantasmatique: normal dans sa névrose, dans sa
psychose, ou dans sa perversion. Parmi les choses que vous ne pouvez
pas évaluer: le fait qu'une personne a pu se marier et avoir
des enfants alors qu'elle croyait ne pas le souhaiter dans sa névrose;
que des gens près de se jeter à l'eau, grâce à
l'analyse, en ont réchappé. Leur entourage ignorait leurs
idées suicidaires. C'est secrètement qu'ils voyaient l'analyste.
Comment évaluer ça?
J.C. S'il y a des choses qui ne sont pas
évaluables, il est possible d'évaluer la qualité
de vie. Or les cas historiques de Freud n'étaient pas des succès.
Freud contre Freud?
J.-P.W. Peut-on reprocher à Freud,
dans les thérapies qu'il a menées en 1900, de ne pas être
le psychanalyste qu'il sera en 1936? C'est ce que fait votre livre,
mettant l'accent sur les cas du début qui datent tous d'avant
la psychanalyse! Freud a forgé ses théories, au prix des
échecs. Il les a théorisés. On ne peut pas lui
reprocher en 2005 d'avoir ignoré en 1887 ce qu'il a découvert
ensuite: les résistances spécifiques, les résistances
à l'égard de la castration. Il a été modeste
sur les résultats. On ne peut pas l'accuser d'avoir menti. De
plus, je m'élève contre votre tentative de disqualifier
la pensée analytique en tirant argument de son histoire. Des
féministes ont estimé qu'Einstein avait emprunté
des idées à sa femme. En résulte-t-il que la théorie
de la relativité serait fausse? L'histoire ne peut prouver qu'une
théorie est juste. Quand Freud croyait tenir une vérité,
il la soutenait jusqu'au moment où ça ne marchait plus.
A la théorie de la séduction, il substitue la théorie
du fantasme. Sa théorie de l'angoisse, il la modifie du début
à la fin, parce que le concept originel ne répondait plus
aux problèmes tels qu'ils se présentaient sur le divan.
Qu'est-ce que la TCC?
J.C. Pour comprendre ce qu'est la thérapie
cognitive et comportementale, prenons un trouble obsessionnel compulsif:
le cas de quelqu'un qui se lave les mains trente fois par jour. L'analyse
fonctionnelle consiste à voir où et comment il se lave
les mains, quelle est la fonction du rituel par rapport à sa
personne, comment il l'interprète, quelles sont les pensées
sous-jacentes, les émotions, et on finira par discerner quelle
est la pensée intrusive qui déclenche les rituels et leur
répétition. Il y a différents niveaux de pensée
chez l'obsessionnel: la pensée intrusive («Attention: je
suis sale»), la pensée automatique, l'évaluation
(«C'est épouvantable, je suis sale»). Il reste à
en induire le schéma: automatique, souvent inconscient. Parfois,
la personne se lave les mains pour se protéger d'un imaginaire.
Certaines personnes pensent qu'elles vont causer la mort des autres,
d'où des rituels obsessionnels. En TCC, on travaille surtout
sur ces représentations de la mort et de la pensée magique.
Quid de la dimension culturelle?
J.-P.W. Outre qu'elle est vilipendée,
la psychanalyse est présentée systématiquement
comme une croyance. Or, entre la science et la religion, il y a bien
ce que Freud appelait Kulturarbeit: le travail de la culture, de l'art,
de la pensée, de la poésie. Est-ce que la théorie
comportementaliste pense l'immersion de l'homme dans le monde, du monde
dans l'homme?
J.C. Elle pense l'interaction avec l'environnement.
J.-P.W. Je ne parle pas de l'environnement
au sens global, mais de la culture: des résidus de tout ce que
l'humanité a vécu, pensé, imaginé, et qu'elle
continue de penser, d'imaginer, et de projeter dans l'avenir.
Le Livre noir de la psychanalyse. Vivre, penser
et aller mieux sans Freud (Editions des Arènes).
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