Psychanalyse : tabous brisés et totems à terre
En matière de santé mentale, la France constitue une double
exception, puisqu’elle est à la fois le principal bastion
mondial du freudisme 1 et l’un des
plus gros consommateurs de médicaments psychotropes. Le débat
sur le caractère archaïque des théories freudiennes
est tardif et difficile à mener dans l’Hexagone, mais il
a été relancé ces dernières semaines par
la parution d’un Livre Noir de la Psychanalyse 2.
Au-delà des informations d’ordre médical, les lecteurs/trices
d’Alternative libertaire pourront tirer profit d’une lecture
plus politique de cet ouvrage salutaire…
De façon assez surprenante, l’histoire du mouvement psychanalytique
en France lui donne l’image d’une certaine radicalité
politique de gauche, dans le contexte de l’après 68. Un
symbole en est le nom que s’était donné une tendance
dominante du mouvement féministe français : “ Psychanalyse
et politique ”. Beaucoup plus proche de nos racines politiques,
le freudo-marxisme a été très en vogue au début
des années 70, époque à laquelle on (re)découvre
par exemple les écrits de Wilhelm Reich. Mais savait-on alors
que Reich, alors qu’il finissait sa vie aux États-Unis,
avait été condamné pour charlatanisme après
avoir mis en vente une machine à capter les énergies sexuelles
venues de l’espace, sorte de gadget que vendrait dans un télé-achat
ésotérique un Pierre Bellemare libidineux ?
Marx/Freud, même combat ?
Si on lit à rebours Mai 68 comme une aventure qui avant de se
finir par une grève générale de 10 millions d’ouvriers
avait commencé par un problème d’accessibilité
aux garçons du dortoir des filles, on comprend la soif de lectures
du type “ sexualité et lutte de classes ” qui s’est
emparée de l’extrême gauche française au début
des années 70. Mais, s’il fallait absolument aller chercher
des écrits du début du siècle pour nourrir sa réflexion
libératrice, on comprend mal pourquoi c’est la tradition
freudienne et son charabia Œdipe/stade anal/refoulement qui l’a
emporté, plutôt que d’autres, pourtant bien moins
sexistes 3 ou homophobes (les commentaires
de Freud sur la place des femmes, l’homosexualité ou la
masturbation le placent dans le ventre mou de l’ignorance voire
de la bêtise de son époque, et certainement pas à
l’avant-garde du progressisme). S’il fallait redécouvrir,
pourquoi ne pas choisir plutôt Alexandra Kollontaï 4
ou Bertrand Russel 5,qui affrontaient
les carcans religieux et bourgeois en matérialistes issus de
la tradition des Lumières, sans invoquer les profondeurs d’un
inconscient invisible aux forts relents d’“ âme ”
?
Si seule la vérité est révolutionnaire, les révolutionnaires
devraient se méfier d’une idéologie fondée
sur autant de mensonges. C’est ce que démontre la première
partie, historique, du Livre Noir. On retiendra par exemple le chapitre
joliment intitulé “ Le médecin imaginaire ”,
qui recense un certain nombre de cas fondateurs pour lesquels Freud
prétend que sa méthode a permis la guérison. Vérification
faite et archives explorées, il s’agit en fait d’authentiques
fraudes. Plutôt que de recourir à l’invective et
de refuser le débat public contradictoire, les gardiens du temple
psychanalytique devraient répondre sur ce terrain, preuve contre
preuve, archive contre archive. Mais, justement, les mêmes maintiennent
une fermeture d’une partie des archives de Freud jusqu’en
2057, ce qui pose le mouvement psychanalytique en rude concurrent pour
le Vatican en matière d’opacité et de protection
de sa propre histoire sainte.
De nombreux angles d’attaque
Après cette remise en perspective historique, le Livre Noir expose
une argumentation philosophique et épistémologique, avant
de donner la parole aux victimes de la psychanalyse et aux praticiens
de méthodes plus pragmatiques et soucieuses d’efficacité.
Le cas de l’autisme apparaît particulièrement dramatique,
puisqu’il s’agit là d’une maladie grave pour
laquelle les dogmes psychanalytiques ne se sont pas contentés
de bloquer la recherche, mais ont également provoqué la
culpabilisation de milliers de parents, et notamment de mères.
On est effrayé de découvrir l’absence totale de
compassion dont font preuve certains “ thérapeutes ”,
comme par exemple le célèbre Bruno Bettelheim, qui n’hésitait
pas à écrire que “ le facteur déterminant
dans l’autisme infantile est le souhait du parent que son enfant
n’existe pas ”. On découvre aussi que le psychanalyste
des contes de fées en a justement inventé lui-même
un certain nombre, à propos de ses succès thérapeutiques
ou de ses qualifications… Le chapitre “ Psychanalyse et
éducation ”, largement consacré aux injonctions
de Françoise Dolto, m’a rappelé un exemple vécu
de l’omniprésence agaçante de la psychanalyse en
France, un cours d’Institut universitaire de formation des maîtres
(IUFM) consacré à la “ psychologie de l’adolescent
” dans lequel le formateur nous expliquait que tout enfant passait
par des stades de développement successifs identiques : il a
le Phallus, puis il pense qu’il ne l’a plus, mais finalement
il se rend compte qu’il est le Phallus !!! Un peu dérouté
par ce n’importe quoi de peu d’utilité pour débuter
en ZEP, j’avais demandé si les filles aussi étaient
censées se rendre compte qu’elles étaient des bites…
Dans sa réponse parue dans L’Express, Elisabeth Roudinesco,
principale prêcheuse lacanienne dans les médias dominants,
tente de disqualifier le Livre Noir en affirmant qu’il est rédigé
“ dans une langue pauvre et vulgaire ”. Il faut effectivement
admettre que les auteurs ont tenté de s’exprimer avec un
vocabulaire clair et accessible à tous et toutes, y compris au
vulgaire et aux pauvres, pour que le langage soit un outil de communication
et non de pouvoir. Ce choix est bel et bien aux antipodes des méthodes
de la tradition lacanienne, consistant à dresser un écran
de fumée enivrant par un recours systématique aux jeux
de mots capillotractés et à des formules obscures que
le disciple, dans le doute, imaginera parfaitement éclairantes.
Petit exemple parmi tant d’autres de la novlangue lacanienne :
“ L’interprétation doit être preste pour satisfaire
à l’entreprêt. De ce qui perdure de perte pure à
ce qui ne parie que du père au pire ” 6.
Sourires béats et airs entendus chez les disciples envoûtés…
Une dernière chose : des courants politiques particulièrement
sensibles aux questions d’exploitation devraient être instinctivement
méfiants vis-à-vis d’une doctrine qui n’hésite
pas à théoriser que pour que sa pratique soit efficace,
il faut qu’elle soit longue et coûteuse, normalisant ainsi
une forme de “ transfert ” bien particulier, celui qui s’opère
du compte en banque du “ soigné ” à celui
du “ soignant ”.
Mensonges, dépendance, misogynie, homophobie : ce livre devrait
contribuer à remettre la psychanalyse à sa place, celle
d’une doctrine qui a fait son temps, d’une illusion sans
avenir. Il existe certainement des interprétations “ progressistes
” de la psychanalyse, de même qu’il existe des lectures
de gauche des Évangiles. Le problème n’est pas là.
Le problème est qu’une doctrine infondée peut amener
à justifier des prescriptions et des analyses totalement arbitraires
comme étant des vérités assurées, ce qui
par définition désarme la pensée émancipatrice.
Il ne sera donc pas dit ici que la psychanalyse est une “ science
bourgeoise ”, parce que l’expression elle-même est
grotesque et vide de sens, mais surtout parce que c’est bien le
caractère “ scientifique ” qui fait défaut
à la doctrine freudienne. Il vaudra donc mieux parler de pseudo-science
obscure et obscurantiste.
Yann Kindo