Chronique
PSYCHOLOGIE - Un "Livre noir" critique et… critiqué
Paru en septembre dans l'Hexagone, Le
Livre noir de la psychanalyse(éd. Les Arènes) –
sous-titré Vivre, penser et aller mieux sans Freud – a
fait son apparition dans les librairies helvétiques. Et même
si l'ouvrage se vend fort bien, le "caractère passionnel
qui colore l'ensemble du débat français ne trouve pas
d'équivalent en Suisse", constate Le Temps. Au demeurant,
le journal rappelle que les "Suisses, avec les Français
et les Argentins figurent parmi les plus gros consommateurs de psychothérapies
diverses". Cependant, un modus vivendi s'est fait entre les différents
courants ; ainsi, l'Institut universitaire de psychothérapie
regroupe les tenants de la méthode psychanalytique (freudienne),
des thérapies systémiques (centrées sur la famille)
et des thérapies cognitivo-comportementales (les TCC) "dans
un climat de collaboration fructueuse".
Le Livre noir, dénoncé,
entre autres, par Elisabeth Roudinesco, l'historienne de la psychanalyse,
comme étant un "livre d'éditeur" dans un commentaire
apportant la contradiction et figurant sur le site Œdipe*, a été
effectivement conçu par l'éditrice Catherine Meyer qui
s'est entourée principalement de trois collaborateurs : Mikkel
Borch-Jacobsen, Jean Cottraux et Jacques Van Rillaer. Le deuxième
cité, psychiatre défenseur des TCC "convient volontiers
de la violence du ton qui caractérise nombre des chapitres",
remarque Le Temps. "Bilan d'un siècle de freudisme, Le Livre
noir s'annonce comme une machine de guerre dirigée contre le
camp retranché des psychanalystes, lesquels s'arrogent un monopole
qu'il s'agit de leur arracher."
Les premières parties, "La
face cachée de l'histoire freudienne" et "Pourquoi
la psychanalyse a eu tant de succès", "sont des résumés
de livres déjà publiés en anglais, en allemand
ou en français et donc parfaitement connus des spécialistes
de l'historiographie freudienne", prévient, de son côté,
Elisabeth Roudinesco. Ces textes relèvent "les contradictions,
les silences, les manipulations de cas dont Freud se serait rendu coupable",
note quant à lui le journal suisse. Il s'agit là de "conclure
à l'échec du projet thérapeutique déclaré
du fondateur de la méthode : théorie et pratique ne convergent
pas ; la psychanalyse est impuissante à guérir. Or, le
sachant, Freud, en premier, et les psychanalystes, Lacan en tête,
auraient retourné cet aveu en titre de gloire."
L'immense succès de la psychanalyse
"serait dû à sa méthode d'écoute plus
humaine que les traitements psychiatriques d'autrefois. Il serait aussi
l'effet de son efficacité institutionnelle." Et surtout,
selon le philosophe Borch-Jacobsen, de son caractère de "théorie
vide" : "l'analyste peut faire dire à l'inconscient
ce qu'il veut. Le système freudien dispose d'une explication
pour tout et propose une clé de décodage universelle."
Le psychiatre Jean Cottraux, adepte des
TCC, raconte "la montée de l'influence lacanienne après
Mai 68, celle de Françoise Dolto, et comment s'est constitué
le bastion tenu par la psychanalyse au détriment des 'psychothérapies
efficaces'." Il apporte comme preuve l'affaire du rapport de l'Institut
national de la santé et de la recherche médicale (INSERM),
en 2004, qui "concluait à la faible efficacité des
traitements psychanalytiques". "L'establishment analytique
s'indigne, dénonce des manipulations dues aux comportementalistes.
Le rapport est retiré sur décision du ministre de la Santé"
(Douste-Blazy). Au final, les comportementalistes crient à la
censure, note Le Temps.
Dans la troisième partie, "La
psychanalyse et ses impasses", un reconverti de la psychanalyse,
"le psychologue Van Rillaer, se charge de la 'déconstruction'".
Il remet en question "la prétention à soigner l'âme
en profondeur qui distinguerait la psychanalyse des thérapies
concurrentes, dénonce le jargon de 'cuisine', désormais
utilisé consensuellement. Enfin, dans la quatrième partie,
sont rassemblées "des histoires de victimes" de la
psychanalyse, parmi lesquelles Anna Freud, Marilyn Monroe et…
tous les enfants de France. Car "Françoise Dolto serait
responsable de la crise de la famille occidentale, commente d'une plume
acerbe, Elisabeth Roudinesco. Elle aurait rendu tyranniques et impossibles
à éduquer la totalité des enfants d'aujourd'hui.
Ses héritiers – Caroline Eliachef, Claude Halmos, Marcel
Ruffo, etc. – ne seraient que les complices médiatiques
de ce grand ratage éducatif."
En Suisse, "le climat autour de Freud,
de ses disciples, descendants et détracteurs est nettement plus
paisible", souligne Le Temps. "L'état des rapports
de pouvoir explique pour une bonne part l'intensité des rivalités
françaises." Le journal genevois laisse la parole à
Anne Bourquin, psychothérapeute cognitivo-comportementale, qui
regrette que "ceux qui s'en prennent à Freud et à
la psychanalyse cherchent leur légitimité dans l'efficacité
plutôt que dans la pensée." D'avoir suivi une analyse
l'a aidée à "ouvrir le champ de son regard",
affirme-t-elle. De plus, elle constate que "la méthode cognitivo-comportementale,
adaptée à des troubles spécifiques, ne suffit pas
lorsqu'il s'agit de troubles de la personnalité".
* Œdipe, le portail de la psychanalyse francophone. On peut y
lire le commentaire d'Elisabeth Roudinesco sur Le Livre noir…
Par ailleurs, l'historienne de la psychanalyse vient de publier : Philosophes
dans la tourmente (Fayard, novembre 2005).
Elisabeth Berthou