Un conflit manifeste | |||||||||
Contre-attaques de Miller et Nathan après le «Livre noir de la psychanalyse» |
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par Eric FAVEREAU |
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- Freud, 150
ans - |
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Jacques-Alain Miller (sous la direction de) L'Anti-Livre noir de la psychanalyse Seuil, 280 pp., 20 €. |
Au moins, c'est la guerre. Une guerre
bavarde, bruyante, où les armes se comptent en chapitres, remplies
de longues déclarations. Finies les positions de repli et les
silences en guise de réponse. De ce point de vue, il faut rendre
grâce au bon docteur Accoyer d'avoir réveillé tout
ce petit monde en déposant à l'automne 2003 un amendement
autour des psychothérapies, qui a permis de mettre le feu aux
poudres. Rendons grâce également aux chercheurs de l'Inserm
qui - en publiant en février 2004 un rapport d'expertise sur
les différentes psychothérapies dont le résultat
a été une ode aux thérapies cognitives et comportementalistes
- ont jeté de nouvelles braises. Et il serait injuste de laisser
de côté le coup éditorial des éditions des
Arènes qui, en éditant en septembre 2005 le Livre noir
de la psychanalyste, ont fait s'emballer le conflit, tant les attaques
qu'il contenait étaient violentes. Freud n'étant qu'un
menteur et un escroc, et ses enfants, de vulgaires assassins qui n'ont
eu de cesse que de brutaliser les parents d'autistes, de pathologiser
les homosexuels, et de tuer les toxicomanes en leur refusant pour de
mauvaises raisons les produits de substitution, cela en pleine épidémie
de sida. Dans ce combat, Jacques-Alain Miller
(gendre de Lacan et fondateur de l'Ecole de la Cause) a été
le premier à réagir. Non seulement en termes politiques
avec les Forums psy, mais également en termes éditoriaux
puisqu'il a été à l'origine de l'Anti-Livre noir
de la psychanalyse. Un ouvrage collectif qui n'avance pas masqué
: «On jouera carte sur table. Les psychanalystes, qui s'en donnent
ici à coeur joie contre les TCC, ne sont point des experts :
comme le public, ils en ignoraient tout ou presque voici peu de temps
; ils confessent leur surprise devant la nullité des théories
et la nocivité des pratiques ; ils s'en amusent plutôt
que d'en pleurer.» Au moins, c'est clair : «L'Anti-Livre
ne défend pas, il attaque. Il ne défend pas Freud et la
psychanalyse contre un pot-pourri de réclamations aussi tonitruantes
qu'inopérantes. Il attaque très précisément
ce que prône l'opération Livre noir après l'opération
Inserm : les TCC.» Il y a dans ce livre un côté jubilatoire.
Comme un jeu de massacre. Dans la quarantaine de contributions (la plupart
provenant d'analystes de l'Ecole de la Cause), toutes présentées
comme des «coups d'épingles», on a l'impression que
nos auteurs, d'ordinaire très silencieux, se laissent aller.
Tant mieux pour la lecture, tant pis pour le débat. Car parfois,
en guise d'argumentaire, il peut paraître un peu limité
de simplement répéter : «En matière d'enseignement
clinique, Lacan demeure aujourd'hui encore inégalé : lisons-le
et faisons-le lire.» Avec la Guerre des psys, on navigue sur
un tout autre registre. Ouvrage rédigé sous la direction
de Tobie Nathan, il y a certes un bandeau pour alpaguer le lecteur -
après le Livre noir de la psychanalyse et l'Anti-Livre noir -,
pour autant le livre se veut constructif. Même si Tobie Nathan,
dans son introduction, ne dédaigne pas de s'abandonner à
quelques simplifications. «Ces dernières années,
la plupart des propositions de la psychanalyse, les vérités
qu'elle a établies, celles où elle a puisé force
et réalité se sont révélées fausses.»
A l'image du rêve, concept essentiel du freudisme : selon Nathan,
depuis la découverte du sommeil paradoxal, «le rêve
est l'une des rares activités humaines purement instinctives.
Le foetus in utero rêve sans discontinuer. Tous les mammifères
rêvent, ainsi que les oiseaux et même certains reptiles.
On peut se demander quels sont les désirs refoulés qui
peuplent à ce point les rêves du foetus... Le rêve
ne peut à la fois être une fatalité biologique et
la vérité d'un individu singulier». Plus intéressant est son souhait d'une «psychothérapie démocratique». Prenant appui sur son travail d'ethnopsychiatre, il note qu'à l'heure où se pose de manière confuse la question de l'évaluation, «les personnes qui évaluent le mieux les progrès d'une thérapie sont les proches du patient. C'est une question de bon sens : le regard de l'expert est trop éloigné, il n'aura jamais le temps de son expertise ; celui du patient sur lui-même, utile mais trop proche... Aucune psychothérapie ne se révélera démocratique si elle n'intègre pas la vérité d'un monde ouvert, tendant vers la transparence». Et pour finir : «Je rêve d'une psychothérapie qui accepterait de penser à des mots disparus, qui saurait décrire son action en termes de concertation, de conciliation, de négociation et de diplomatie.» Un langage... bien peu guerrier. Eric Favereau http://www.liberation.fr/page.php?Article=379385 |
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