Doutes sur la "légende
freudienne"
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Critique dans Le Monde |
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Sous
les hommages commémoratifs, la petite voix critique des intellectuels
et historiens "non autorisés" des débuts de la
psychanalyse commence à se faire entendre en France. Dans ce Dossier
Freud, l'un des maîtres d'oeuvre de la relecture dévastatrice
des origines de la théorie freudienne, le philosophe Mikkel Borch-Jacobsen,
et l'historien, spécialiste de Jung (le compagnon puis adversaire
de Freud), Sonu Shamdasani s'emploient à résumer l'essentiel
de ce qui se présente comme un réquisitoire. Cible
visée : la prétention de la psychanalyse à s'ériger
en théorie définitive du psychisme humain. Loin d'être
aussi indépassable que l'héliocentrisme de Copernic, elle
n'aurait été en fait qu'une "mode culturelle",
entretenue par une propagande sectaire dont le succès en résume
à lui seul toute l'efficacité ! Très vite rejetée
par les spécialistes des maladies psychiques et les cercles de
spécialistes et de professionnels, son contenu théorique
se réduirait à une légende où la statue du
créateur/héros occupe la place du commencement absolu. Certes,
le "label Freud" a tenu bon la barre face aux tentatives de
déstabilisation philosophique (de Popper à Deleuze). Mais
il aurait tout à craindre d'une historiographie documentée
propre à éroder un mythe de fondation qui a fini par se
substituer à une impossible reconnaissance scientifique. Celle-ci
lui fut d'ailleurs précocement refusée, au congrès
de l'Association allemande de psychiatrie de Breslau, en 1913 ! Cette
reconnaissance, Freud avait espéré l'obtenir. Or les faits
qui sont censés avérer le caractère révolutionnaire
de sa "découverte" se ramènent sous le regard
des auteurs à "presque rien". La psychanalyse n'a pas
constitué la révolution scientifique que l'on croit. La
plupart des innovations : l'inconscient, la sexualité infantile
et le terme même de "psychanalyse", dont elle s'arroge
la paternité, n'auraient été ni si nouvelles ni si
scandaleuses. Le contexte culturel de la fin du XIXe siècle comme
les contemporains y ont eu une part souvent occultée : Joseph Breuer,
le médecin berlinois Wilhelm Fliess, dont on ne possède
toujours en français qu'une version "autorisée"
de la correspondance avec Freud, le Français Pierre Janet, etc. La
seule contribution originale consisterait finalement en la fameuse "auto-analyse".
Fonctionnant comme paravent de l'argument d'autorité, bâclée
en quelques semaines et, de l'aveu même de Freud, ne débouchant
sur pas grand-chose, elle n'en fut pas moins érigée en levier
d'Archimède. Quant aux célèbres cinq premières
psychanalyses (dont Anna O., "l'homme aux loups", "l'homme
aux rats"), les récits des malades comme les rares notes prises
en séance par Freud lui-même ayant échappé
à la destruction systématique montrent à quel point
la réalité est éloignée de ce que l'on en
connaît. Loin de calquer sa théorie sur des données,
Freud aurait tordu les faits pour les rentrer à toute force dans
un cadre préconçu. Certes,
on peut regretter que ne soit jamais prise en compte la parole des patients
qui se trouvent parfois mieux de confier leurs souffrances aux divans.
Mais, malgré sa véhémence, ce Dossier par sa précision
appelle en réponse des arguments plutôt que les invectives
habituelles. LE DOSSIER FREUD. ENQUÊTE SUR L'HISTOIRE DE LA PSYCHANALYSE de Mikkel Borch-Jacobsen et Sonu Shamdasani. Les Empêcheurs de penser en rond, 510 p., 20 ¤. Nicolas
Weill |
Mikkel
Borch-Jacobsen est philosophe et enseigne à lUniversité
de Washington. Il a publié plusieurs livres sur Freud et Lacan,
traduits en six langues. Il est lauteur de Folies à plusieurs
aux Empêcheurs de penser en rond. |
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