Est-ce qu’elle gît, la psy ?
au sujet du livre noir de la psychanalyse


Christophe Donner


par Christophe Donner

Le Monde du 12 novembre 2005



La psychanalyse n’en finit pas de mourir. Les découvertes de la science attaquent son empire comme les vagues de la mer un château de sable.


… La psychanalyse n’en finit pas de mourir. Les découvertes de la science attaquent son empire comme les vagues de la mer un château de sable. Bientôt, il ne restera plus rien, ni en France ni en Argentine. Dans les domaines aussi divers que l’asthme, l’autisme ou la schizophrénie, les progrès de la médecine, portés par le bon sens, ont ridiculisé les prétentions thérapeutiques des émules du docteur Freud. Ce mal au ventre que nous portions en nous comme la preuve irréfutable d’un psychisme rongeur, cet ulcère signifiant, somatisation d’un non-dit, accusation venue du subconscient que seule la parole psychanalytique arriverait à surmonter, cette plaie intérieure, à vomir de douleur, n’était donc, dans 80% des cas, qu’un Helicobacter, un simple microbe qu’un antibiotique est désormais capable, en quelques jours, de faire disparaître.

 

 

Des histoires comme celle-ci, il y en a dix, il y a en a cent,


Des histoires comme celle-ci, il y en a dix, il y a en a cent, en faire le recensement, la liste noire, paraissait simple, et radical comme déboulonnage. Mais la psychanalyse, depuis le temps qu’elle est attaquée a su trouver des parades, des esquives.

 

Insaisissable sur le plan scientifique, elle vous glisse entre les neurones comme une savonnette sémantique

 

Insaisissable sur le plan scientifique, elle vous glisse entre les neurones comme une savonnette sémantique et vous vous retrouvez dans le champ de la morale et de la philosophie en compagnie de quelques menteurs en velours côtelé, quelques manipulatrices en châle indien, sadiques bien intentionnés ou théoriciens farfelus, tous prétendus médecins de l’âme, qui vous proposent contre l’angoisse la panoplie du parfait petit oedipe avec la tunique, les spartiates, le grand couteau pour tuer le père, suicider la mère, et se crever les yeux. En prime, ils vous offrent un paquet de cigarettes pour faire le deuil.

 

 

Le Livre noir de la psychanalyse est sans doute le premier livre d’histoire de la psychanalyse. Le premier lisible.

 

Le Livre noir de la psychanalyse est sans doute le premier livre d’histoire de la psychanalyse. Le premier lisible. On en apprend de bonnes, à commencer par cette grande découverte de Freud sur la sexualité enfantine : elle appartient à Wilhem Fliess. Peu importe, pourrait-on dire, puisque de toute manière cette fumeuse « théorie de la séduction » s’est révélée totalement fausse. Mais l’anecdote dévoile le principe fondamental de la psychanalyse : se battre sur des théories totalement fausses. Se battre comme des chiffonniers. Excommunier les uns, rompre avec les autres, la vie des sectes, c’est la dispute permanente. En cela, psychanalystes et communistes se ressemblent, sont du même bois, agités de la même frénésie rhétorique, n’ayant de cesse de produire toujours plus de conflits, de chaos et de haine.

 

 

C’est le fils du fossile et de la marteau qui parle, et qui reste un peu sur sa faim

 

C’est le fils du fossile et de la marteau qui parle, et qui reste un peu sur sa faim, car ce livre de 800 pages, après être passé à côté du démontage scientifique de la psychanalyse, ne parvient pas non plus à situer cette sombre aventure dans son siècle, dans son humanité. On a juste envie de leur casser la figure, à ces escrocs de l’inconscient, on aurait préféré comprendre.

Mais bon, ce n’est qu’un livre, pas une pierre tombale.

 



Christophe Donner, né à Paris en 1956, romancier, Christophe Donner est l’auteur, entre autres, chez Grasset, de L’Esprit de vengeance (1991), Ma Vie tropicale (1999) et L’Empire de la morale (Prix de Flore, 2001).

Article paru dans l'édition datée du 12 novembre 2005
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